La légende (complète) de la "dame des Avaloirs"


Un soir de décembre 1793, Jules Loisel, un rude paysan de Champfrémont, revient du marché de Pré-En-Pail avec sa fille Françoise, une belle jolie blonde de dix neuf ans.

En traversant les landes dites des « Evaloués », ils aperçoivent tous deux un blessé ! « C'est un vendéen, étendu et évanoui au bord du chemin de la Procession. La première idée de Jules, ardent défenseur de la république est de l'achever mais sa fille le dissuade. Ils élaborèrent un brancard de fortune pour l'emmener.

Cinq mois plus tard, Grâce aux soins attentifs de Françoise et presque guéri, il aida à quelques travaux de la ferme. Jean Mauger s'appelait-il, sa douceur, sa politesse lui attirent sympathies. Il raconta à ses sauveteurs qu'il avait été le dernier survivant d'une troupe Vendéenne égarée dans la Sarthe, il suivait des partisans Chouans se dirigeant vers la Haute-Mayenne. Or, après une discussion, il voulut s'enfuir et fut blessé par l'un deux.

Cette histoire n'a pas été ébruitée et Jean passe pour un parent éloigné des Loisel. Seul, Julien leur cousin vivant et travaillant à la ferme est mis au courant.

Mais Jean pense toujours à son pays et en discutant avec Françoise, il manifeste son souhait de remonter aux « Evaloués » pour voir le panorama s'étendre vers les contrées des bords de la Loire.

Si bien qu'un dimanche après-midi de mai, Jean Mauger accompagné de Françoise et de Julien décident d'y retourner en prenant le chemin des brières de Saint-Anne. Pendant l'ascension, Jean heureux et enthousiasmé chante sa joie de vivre et entame avec Françoise une conversation si animée que Julien en conçoit du dépit.

En effet, Julien espère qu'un jour la demander en mariage. Il pourra ainsi, plus tard, remplacer son cousin à la ferme. Mais, paysan ignorant,il a le sentiment de son infériorité en face du gars de la ville. « Un Vendéen, se dit-il, que le père Jules ne voudra jamais pour gendre.

Mais au cours de la promenade sur les buttes, il voit à cent pas de lui, près de « la Pierre Debout » Jean embrasser Françoise ! Dès lors une pensée le traverse : « Il faut absolument avertir le cousin Jules ! ».

Le soir tombe, les amoureux prennent le chemin du retour, sans s'inquiéter du départ précipité de Julien. Mais à 800 mètres de leur village, il entendent une vive fusillade ! Angoissés, ils n'avancent plus que prudemment.

En rentrant au logis, Françoise regarde au fond de la grande salle servant de chambre et de cuisine. Hélas ! Elle voit son père étendu sur son lit, ses vêtements sont maculés de sang, à ses côtés Julien s'empresse ! La jeune fille se hâte, prépare un pansement, mais la gravité des blessures inquiète ! « Il faut un médecin » dit-elle.

« Non », répond le blessé, donne-moi plutôt une potée de cite pour me remonter : « J'attendrai la Phanie qui soigne par secret, un voisin est parti la chercher à Boulay ».

Cependant, le pauvre homme se sent perdu... et fait ses dernières recommandations... Il connaît les sentiments de Julien pour sa fille et voudrait qu'il l'épouse. S'adressant à celle-ci, il lui demande tout bas si elle accepterait son cousin pour mari ?

La réponse ne vient pas ! En attendant, il explique l'attaque dont il vient d'être victime : blessé par « des chouins » venus piller le village, il allait succomber sans le secours de Julien arrivé à temps pour le défendre et l'emmener !

Françoise et émue, elle s'approche de son cousin qu'elle félicite et remercie.

Revenant alors à son idée de mariage, ,le père rappelle à sa fille la question qu'il lui a posé ? Mais celle-ci ne peut que lui dire la vérité : elle s'est promise à Jean qui lui a demandé de l'épouser.

Furieux, Jules Loisel repousse sa fille venue l'embrasser. Ce paysan n'est pas foncièrement méchant. Cependant, en ce moment tragique, sa haine contre les royalistes l'exaspère, il s'exclame : « Je te maudis si tu persiste à vouloir un Vendéen ! Un chouin ! Un gueux qui cherche notre bien ! »

Entendant ces paroles, Jean tient à protester, il déclare qu'on ne peut le comparer aux partisans du pays et fait savoir qu'il est le fils d'un propriétaire de la région de Cholet : le baron des Maugers.

Mais cette révélation, au lieu de calmer le paysan, ne fait que l'exciter ! Il crie à Julien : « Va chercher le maire qu'on arrête le ci-devant ! » Puis plus bas, il ajoute en retombant épuisé sur son lit : « Dis au curé de m'apporter le Bon Dieu  ! ».

Après le départ de Julien, Jean va préparer ses affaires. Revenu faire ses adieux à Françoise, il lui remet un bel écrin en or : c'est un souvenir de ma mère, dit-il avec émotion.

La jeune fille le prend et embrasse le portrait qu'il contient. Mais comme elle supplie son ami de ne pas partir ainsi la nuit ou de l'emmener, il répond qu'elle doit rester auprès de son père mourant... Déjà, il s'avance vers la porte, un mot d'espoir au lèvres, lorsqu'un cri rauque l'arrête !

C'est le père redressé dans un suprême effort, qui, d'une voix brève, hachée par la souffrance, l'appelle, déclarant pour le rassurer : « le Maire ne viendra pas ce soir ». Puis, cherchant son souffle, luttant de vitesse avec la mort qui déjà l'étreint, il reprend : « Les paroles que tu viens de dire sont d'un honnête gars ! Jure-moi de ne jamais attaquer la République ?

« Sans renier les idées des miens,j'en fais le serment », répond le Vendéen d'une voix forte.

Le vieux lutteur est satisfait. Il veut lever les mains pour bénir ses enfants et ne peut, hélas ! Que leur sourire... Mais, oh ! Comme il en dit long ce sourire d'un mourant ! Dépassant le cadre de cette salle, de ce pays, il recherche dans le temps et l'espace, la justice et la paix des hommes de bonne volonté. Naïf et bon sourire qui se pose pour finir sur le christ que lui montre le prêtre arrivé depuis quelques instants.

Après les prières et toilette funèbre, les deux jeunes gens expliquent au prêtre ce qui s'est passé et lui demandent conseil ? Celui-ci leur montre le danger de voyager à cette époque. Françoise déclare alors qu'elle connait un refuge, chez sa marraine des Orjus : la Nanette. Il est donc convenu que Jean passera la nuit à la cure et partira à l'aube dans cet endroit désert, près du bois.

Aussi, le lendemain, lorsque le Maire vient au renseignements, il se contente des déclarations de Françoise.

Que réservait l'avenir à nos deux jeunes gens ? Certes, l'espoir renaissait en eux. Quelques semaines après la mort de son père, Françoise alla aux Orjus et passa une agréable journée avec son fiancé. Des mois s'écoulèrent, la jeune fille revint souvent chez sa marraine. Après Thermidor, Jean envisagea la possibilité d'un voyage à Cholet et fixa son départ fin Août. Pensant revenir bientôt, il faisait déjà des projet !...

Hélas ! Le malheur était proche...

Françoise qui avait tenu à renseigner son cousin sur le sort de Jean, lui parla de ce départ. Mais cette nouvelle ne plut pas à Julien, il se rappelait les dernières paroles que le père lui avait dites !

« Le Vendéen se moque de toi, répondit-il, ne reviendra pas si on le laisse partir ».

La jeune fille haussa les épaules, sans méfiance, elle ne doutait point de son ami. Le jour fixé, elle partit de bon matin au Orjus et accompagna le voyageur jusqu'aux abords de Souprat.

Sous le une pluie d'orage, après les derniers adieux, elle redescendait la pente, toute songeuse,, lorsqu'un coup de feu claqua sur les hauteurs ! Inquiète, elle revint sur ses pas et jeta soudain un cri d'angoisse ! Son cousin armé d'un fusil apparaissait derrière les genêts.

« Oui, c'est moi qui ai tué le Vendéen » déclara-t-il sans s'émouvoir, répondant au cri de sa cousine.

Affolée, la pauvre fille remonta le sentier en courant. Là-haut, elle continua sa course, recherchant vainement le corps de son fiancé. Mais la pluie redoublait de violence, elle dut rebrousser chemin. Grelottante, épuisée, elle vint se blottir contre la « pierre Ecumoire ». C'est là, près de ce roc dominant les vaux d'Annette que sa marraine la trouva une heure plus tard.

Françoise fut longtemps malade et ne retrouvera jamais sa belle santé. Parfois, lorsque sa raison se troublait, elle montait sur les « Avaloirs » à la recherche de l'ami disparu. Après, la mort de sa marraine, deux ans plus tard, elle partit une fois encore sur les crêtes, mais ne revint pas.

Quant à Julien, assailli de remords dès qu'il connut l'état de sa cousine, il s'engagea dans l'armée républicaine et trouva dans un combat contre les Autrichiens, la mort qu'il cherchait.

Lorsqu'au début du 19ème siècle, bonnes gens de Multonne contaient cette histoire, ils ne manquaient point d'ajouter que les soirs d'orage, on entendait encore sur les buttes, les plaintes de la dame des Avaloirs. Mais, une nuit d'été, un paysan des environs de Pré-en-Pail, revenant de « la Sainte-Anne » vis une lueur étrange sur la crête : Il s'approcha et aperçut deux jeunes gens qui marchaient dans la brière : arrivés près de la « Pierre Debout », ils s'embrassèrent et disparurent dans un éclair...

Depuis, on n'a jamais revu la dame des Avaloirs !

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